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Neurophysiologie de l'équilibration

Faire un chapitre détaillé sur l'anatomie et la physiologie de l'équilibration en 1999 serait de notre part assez prétentieux. Nous préférons renvoyer le lecteur aux nombreux ouvrages écrits par des gens compétents. En revanche il nous paraît important, pour la bonne compréhension de ce qui va suivre de faire un survol de cette physiologie en étant pragmatique. C'est à dire expliquer ce qu'il est nécessaire de savoir pour avoir une bonne compréhension des pathologies et de leurs symptômes. La rééducation vestibulaire n'étant rien d'autre que l'utilisation de la physiologie. Cette connaissance permettra d'appréhender la démarche thérapeutique.


Certaines hypothèses du fonctionnement des systèmes présentées ci après ne sont pas nécessairement écrites dans les ouvrages disponibles. Ces hypothèses sont le fruit d'interrogations dues à l'observation du comportement des malades. Ces hypothèses font partie des orientations des différents laboratoires de recherche travaillant dans le domaine qui est le notre. Ceci pour dire qu'aujourd'hui la rééducation vestibulaire a atteint un certain degré de sophistication mais qu'il y a encore beaucoup à faire, beaucoup de choses à apprendre.

 

L'équilibration est une fonction qui est élaborée par des centres en utilisant une périphérie. La périphérie est double : elle est constituée par des afférences neuro-sensorielles et des éfférences neuro-motrices. Le chapitre neuromoteur ne sera pas abordé ici. Les pathologies neuro-motrices sont responsables de ce que les neurologues appellent les troubles de la statique et de la marche. Les kinésithérapeutes connaissent bien la rééducation des différentes ataxies.
Dans cette fonction on peut considérer que l'élément neuro-sensoriel est celui qui, grâce aux informations en provenance des capteurs périphérique, va élaborer une commande que l'élément neuromoteur exécutera. On partira du principe, en ce qui concerne les pathologies qui nous intéressent, que l'élément neuromoteur est apathologique.

Pour tenir debout on a besoin de trois entrées sensorielles :

 

  • L'entrée somato-sensorielle,
  • L'entrée visuelle,
  • L'entrée vestibulaire.


L'entrée somato-sensorielle est constituée principalement par la proprioception des muscles squelettiques et des capteurs ostéo-articulaires. Les articulations principales sont la tibio-tarsienne et la coxo-fémorale.

L'entrée visuelle comprend la vision fovéale qui sert à regarder et la vision périphérique qui sert à ramener sur la fovéa une image apparue dans le champ visuel et dont l'intérêt est significatif. C'est aussi dans la rétine périphérique que se trouvent les capteurs de vitesse de déplacement de la scène visuelle. L'ensemble sert à voir.

L'entrée vestibulaire est constituée par le labyrinthe postérieur qui comprend les canaux semi-circulaires et les macules otolithiques. Les canaux semi-circulaires sont au nombre de trois par labyrinthe. Il y a un canal externe disposé sur le plan de Francfort et deux canaux verticaux. Ces deux canaux verticaux forment entre eux un angle de 90°. Ces canaux sont remplis d'un liquide: l'endolymphe. Chacun d'entre eux porte à une extrémité un renflement appelé ampoule. Cette ampoule est fermée par une membrane anhiste: la cupule. La base de cette cupule repose sur un épithélium cilié. Les cellules ciliées sont les mecano-transducteurs de l'information. L'ensemble canal-cupule constitue un accéléromètre angulaire. Il faut retenir de ceci que :

 

  • la cupule est d'une densité identique à celle de l'endolymphe.
  • le mouvement cupulaire est provoqué par les variations de pression de l'endolymphe sur celle-ci. Autrement dit la cupule n'est pas soumise aux variations de l'accélération de la pesanteur.


Les macules otolithiques sont constituées par des cristaux de carbonate de calcium enchâssés dans une "gélatine" elle-même posée sur une couche de cellules ciliées. Les macules sont d'une densité très largement supérieure à l'endolymphe. Lors d'un mouvement de flexion de la tête par exemple la macule va glisser, sous l'action de la pesanteur, vers l'avant. Ce cisaillement durera aussi longtemps que la position de la tête sera maintenue. Ce mouvement de cisaillement va faire bouger les cils des cellules ciliées et envoyer un message aux centres. Ce message signalera la variation de l'orientation du vecteur gravitaire par rapport à l'axe de la tête. Nous pensons encore que le système otolithique a un rôle inhibiteur sur les mouvements oculaires ascendants.

Les informations afférentes données par les capteurs périphériques sont analysées, comparées par les centres. Après avoir vérifié la congruence et la redondance des informations ils vont envoyer un ordre aux systèmes efférents pour adapter la posture à la tâche envisagée.
Il y a cependant une stratégie et une hiérarchie dans l'utilisation des entrées. Certaines ont plus de poids que d'autres.

On peut, pour simplifier les choses, considérer que la proprioception est un système utilisé à fréquence basse. En effet on peut maintenir une posture immobile uniquement grâce à la proprioception. La proprioception a pour objet d'assurer l'harmonie de la contraction tonique musculaire segmentaire pour conserver et assurer le maintien de la posture. Indépendamment de ce contrôle proprioceptif le tonus postural doit vaincre l'accélération de la pesanteur pour conserver la posture érigée. Le rôle du système otolithique est de mesurer en permanence l'accélération de la pesanteur et donc de contrôler, entre autres, le tonus des muscles extenseurs.

L'entrée visuelle est utilisée à fréquence plus élevée mais pour satisfaire à une utilisation variable en fonction de la bande de fréquence et de la tâche à remplir on pourra utiliser des mouvements oculaires lents (mouvements de poursuite), des mouvements plus rapides (saccades oculaires) mais pour lesquels il y aura une extinction de la vision pendant le mouvement.

L'entrée vestibulaire répond aux fréquences élevées. Son rôle est capital car il interagit sur les deux autres entrées. Nous avons vu l'interaction otolithique lors d'une posture statique mais on bouge, on se déplace. Le vestibule est l'organe du déplacement, du mouvement de la tête et du corps dans un espace tridimensionnel.


Le système vestibulaire (sous le terme système vestibulaire nous entendons la chaîne complexe qui va de la périphérie jusqu'aux centres; le capteur périphérique n'étant qu'un maillon de cette chaîne) a pour objet de stabiliser la scène visuelle pendant un mouvement et/ou un déplacement de la tête et/ou du corps. Si l'oeil était fixe dans l'orbite ou s'il n'utilisait que ses mouvements propres on aurait lors de la marche un symptôme appelé oscillopsie. C'est à dire que le paysage environnant serait flou ou bougerait en résonance avec la fréquence du pas. Pendant la marche la tête est soumise à un mouvement passif vertical d'à peu prés 1hz. on verrait donc la scène visuelle osciller verticalement à une fréquence de 1Hz. Formulé autrement: le système vestibulaire par son interaction vestibulo-oculaire va permettre de conserver l'image d'une cible stable sur la rétine. Le fait que l'oeil et le vestibule soient dans la tête permet de dire que le vestibule stabilise le regard et est aussi le propriocepteur de la tête.
Cette stabilité du regard est la clé de l'équilibre. Il n'est pas possible de tenir en équilibre dans un univers visuellement instable.

Voici pour les aspects les plus élémentaires. En effet le fonctionnement cohérent de l'ensemble de cette chaîne est plus complexe. L'adaptation à la station debout est le fruit de l'apprentissage. On peut accepter que toute action soit la conséquence d'un apprentissage. Dés lors on peut accepter de la même manière que la rééducation vestibulaire ne soit pas une rééducation mais un apprentissage d'une nouvelle forme d'utilisation des systèmes. Systèmes qui ne fonctionnent plus avec la logique des acquis de la vie mais avec une anomalie de fonctionnement d'un des paramètres. Cette adaptation multimodale fruit de l'apprentissage a, dans le fond, chez le sujet normal une raison d'être assez simple: remplir une tâche le plus vite possible, donc sans participation consciente et/ou volontaire, le mieux possible voire le plus parfaitement possible en utilisant le moins d'énergie possible.

Un sujet normal a la liberté d'utiliser les différentes entrées avec le plus de pertinence possible. Cette utilisation est soumise à une stratégie propre à chaque sujet. La différence d'activité de chacun, la différence de vitesse d'action de chacun oblige à une adaptation des systèmes afin de remplir les contrats qui lui sont proposés lors de l'exécution d'une tâche. Cette multiplicité de stratégies explique la formidable différence interindividuelle observée chez le sujet normal dans les expérimentations et différents tests d'évaluation de la fonction d'équilibration.

Chez un sujet pathologique une absence de données, ou une donnée erronée, apparaît lors de l'utilisation d'un système. Cette anomalie, lorsqu'il s'agit du système vestibulaire, a un retentissement considérable à cause des formidables interactions du système sur les autres entrées. Cette anomalie va perturber le fonctionnement logique tel qu'il avait "l'habitude" d'être utilisé. Si la solution n'est pas trouvée rapidement, soit par récupération spontanée, soit par compensation, il va se produire une sorte d'attaque de panique et le cerveau va se mettre en état d'alerte. L'action et le mouvement vont alors devenir conscients. Cette nouvelle situation consomme une quantité d'énergie considérable.

La solution du problème ne pourra être trouvée que si :

 

  • il y a une situation conflictuelle, avec d'autres systèmes, suffisamment significative pour obliger le cerveau à rechercher et trouver une solution
  • que la situation conflictuelle soit présente suffisamment longtemps pour que les processus de compensation se mettent en route

 

Ceci a été démontré par les travaux de Michel LACOUR (CNRS Marseille). Il a montré l'état de la compensation d'un singe après labyrinthectomie unilatérale dans plusieurs situations :

 

  • une situation normale et active,
  • une situation avec restriction sensorielle.

 

Le retour à la "normale" du singe en restriction a été non seulement plus long mais incomplet. En revanche le singe soumis à une "activité" a récupéré plus vite et mieux.
C'est ainsi qu'on sait, en rééducation vestibulaire, que ce qui est acquis est acquis et restera acquis aussi longtemps que la nécessité de compenser existera. Certes il existe des décompensations mais celles-ci sont souvent la conséquence :

 

  • de causes extrinsèques, souvent iatrogènes,
  • d'une évolution non prévisible de la pathologie.

 

Ceci obligeant à reconsidérer le diagnostic.

On se rend bien compte que pour pouvoir rendre à un sujet "vestibulopathe" un retour à une vie socio-professionnelle normale il faut :

 

  • agir vite. Essayer de commencer à le rééduquer très rapidement après l'apparition de l'affection,
  • demander au sujet d'être le plus actif possible même si la demande paraît cruelle,
  • avoir une relation très privilégiée avec les membres de l'équipe soignante afin d'adapter le traitement médical à l'évolution des symptômes du sujet sous R.V. ; le traitement médicamenteux doit être considéré comme un complément indispensable à la R.V.

 


Le système vestibulaire a un autre rôle parmi tant d'autres: permettre l'orientation anticipatrice du regard. En effet on va vers ce qu'on regarde (Alain BERTHOZ). Le système vestibulaire va faire en sorte que le regard soit orienté dans la direction de notre déplacement avant que le reste du corps s'oriente.
On voit donc à travers ce qui vient d'être décrit que l'équilibration part de la tête et descend vers les pieds. Sur le plan de la rééducation cela veut dire que la priorité est de retrouver une capacité d'orientation et d'anticipation du regard. Le corps suit par le jeu de réflexes en chaîne. En résumé et succinctement on aura :

 

  • le réflexe vestibulo-oculaire: stabilise la scène visuelle sur la rétine,
  • le réflexe vestibulo-collique: stabilise la tête dans l'espace,
  • le réflexe cervico-collique oriente le tronc sous la tête.

 


Il ne faut pas oublier le réflexe vestibulo-spinal qui contrôle le tonus et qui est responsable des réajustements posturaux. A travers ce réflexe le vestibule devient le déclencheur de la réaction para-chute. La plus belle illustration du fonctionnement de ce réflexe se situe à travers ce que Georges FREYSS a décrit sous l'appellation: omission vestibulaire. On verra plus loin en quoi cela consiste mais brièvement il s'agit d'une non-utilisation de l'entrée vestibulaire.

Enfin on sait que le système vestibulaire est un accéléromètre angulaire. Ceci veut dire qu'à vitesse constante le système est silencieux. Mais ce n'est pas la seule situation ; en effet la valeur zéro n'est pas innocente. Le zéro signifie silence donc que nous sommes immobiles. Cette dernière proposition est la plus évidente mais il y a aussi la situation ou le système ne répond pas parce qu'il est détruit. Donc en conclusion il y a trois significations pour la valeur zéro :

 

  • immobilité,
  • vitesse constante,
  • lésion.

 

Qui va résoudre le problème ? : L'oeil

Il y aura congruence :

 

  • Lorsque le sujet est immobile dans l'espace car la scène visuelle est immobile.
  • Si on se déplace activement ou si on est passivement soumis à un déplacement : la scène visuelle bouge.

 

En revanche si le système est lésé il y aura conflit d'informations donc symptômes.

Le réflexe qui sert de lever de doute quand le système vestibulaire est silencieux est le réflexe opto-cinétique : lorsque nous regardons une scène visuelle en déplacement l'oeil est animé d'un mouvement de poursuite en phase avec le mouvement du paysage. Il arrive un moment tel que :

 

  • soit la tête est obligée de bouger dans la direction du stimulus pour augmenter l'amplitude du mouvement total,
  • soit la tête ne bouge pas mais l'oeil revient à son point de départ et ainsi de suite. L'association de ce mouvement lent de poursuite suivi d'une saccade de recentrement a la forme d'un nystagmus. Ce sera un nystagmus opto-cinétique.

 

Mais il est un autre nystagmus opto-cinétique qui est, lui, provoqué par l'engagement du réflexe opto-cinétique. Ce nystagmus est purement réflexe sans participation volontaire pour suivre le mouvement du paysage. Il est provoqué par une stimulation en champ visuel total. C'est à dire que le stimulus enveloppe complètement le sujet stimulé. La surface de stimulation est maximale. Le nystagmus opto-cinétique, qu'on appellera cortical pour plus de simplicité, peut être provoqué par le déplacement d'un simple point lumineux. Son gain sera égal à l'unité. En revanche le nystagmus opto-cinétique sous-cortical donc provoqué par l'engagement du réflexe opto-cinétique aura un gain d'environ 0.75. Il apparaîtra après un certain temps de stimulation d'environ douze secondes. Pendant les douze premières secondes il y aura un nystagmus opto-cinétique cortical associé vraisemblablement au nystagmus sous-cortical. Au bout de douze secondes il ne reste plus que le nystagmus sous-cortical. Le réflexe est fait de telle manière que le système fonctionne tout seul. La particularité de ce réflexe est qu'il générera d'autres manifestations: une sensation de mouvement propre et une déviation posturale ipsi-latérale à la direction du stimulus.

 

La sensation de mouvement propre est la preuve de l'engagement du réflexe. La déviation posturale a ceci de particulier: il ne s'agit pas d'un déséquilibre mais d'une correction active de l'illusion de mouvement de la pièce dans laquelle se trouve le sujet ; mouvement apparent en sens inverse de celui du stimulus. Tout se passe comme si le sujet percevait un stimulus immobile et un mouvement contraire de la pièce qui fait office d'écran. Afin d'éviter de tomber avec la pièce qui, spatialement parlant, n'est plus dans un référentiel euclidien le sujet tente, lui, d'y rester. Ce réflexe extrêmement puissant est plein d'enseignement dans les évaluations des dommages de la fonction d'équilibration. Il est vraisemblable qu'il y a encore des choses à découvrir et à apprendre sur ce réflexe sous-cortical.

En conclusion nous voyons que tout est relié à tout. Que le bon fonctionnement du système qui permettra de ne pas avoir de symptômes est complexe. Ce qui caractérise l'utilisation de toutes ces afférences est la plasticité neuronale. En 1999 il devient difficile de se contenter d'une physiologie sous-corticale et de faire abstraction du rôle des centres. En dehors de l'action du cervelet en tant qu'organe de la précision, de la métrie il ne faut pas négliger toutes ces zones corticales et principalement le cortex vestibulaire pariéto-insulaire. Toutes ces zones sont regroupées pour plus de facilité sous le vocable de "cortex vestibulaire". A la différence du cortex visuel il ne s'agit pas d'une zone spécifique géographiquement déterminée mais d'un ensemble de zones qui participent à l'élaboration de routines. Ces routines exécutées par la périphérie ont pour objet, ainsi que l'avons déjà expliqué, de remplir une tâche dans le minimum de temps en utilisant le minimum d'énergie.

 

Ces zones à localisation corticale seraient responsables de la représentation spatiale du fonctionnement de l'équilibre. Nous pensons que le système vestibulaire, dans son ensemble, autoriserait la connaissance de la position d'un droit devant egocentré. Ce droit devant égocentré se déplacerait par rapport à un droit devant référent, partagé en deux parties (droite et gauche), construit par l'apprentissage, par la vie depuis l'enfance, et cet ensemble au fonctionnement harmonieux se déplacerait dans l'univers tridimensionnel. Ainsi : toute dysfonction se traduirait par un biais. Ce biais serait responsable d'une déviation du droit devant egocentré par rapport au droit devant référent ce qui permettrait alors de comprendre toutes les latéralisations et autres déviations observées chez les sujets pathologiques.

 

Nous pensons encore que le droit devant référent serait "suspendu" à la gravité par le système otolithique. Des expérimentations sur les stimulations opto-cinétiques verticales par T. TSUZUKU, A. SEMONT, A. BERTHOZ (in press) ont fait penser que le système otolithique aurait un rôle inhibiteur sur les mouvements oculaires ascendants. Si comme nous le pensons le droit devant référent est sous le contrôle du système otolithique on comprend qu'une atteinte otolithique unilatérale puisse être perçue comme un effondrement latéral. (Tilt).


De ce fait nous pensons, en ce qui concerne le nystagmus spontané, que la phase lente serait, ainsi que nous l'avons toujours appris, la traduction de l'asymétrie vestibulaire. Cette phase lente serait "passive" alors que la phase rapide serait sous le contrôle de ces zones corticales et traduirait l'action tonique pour corriger la déviation du droit devant egocentré. La phase rapide serait active.
Toutes ces hypothèses sont les bases de nouvelles orientations en recherche clinique.

Neurophysiologie de l'équilibration